Depuis l’intervention solennelle d’Emmanuel Macron, le 16 mars dernier, le pays est prié de se plier à toutes les recommandations prises dans l’urgence, pour ne pas dire dans la panique.
Car de toute évidence, cette crise sans précédent qui touche le monde, a particulièrement été mal anticipée, mal évaluée, et surtout mal gérée. Mais comment peut-on mettre le doigt sur tous les dysfonctionnements et oser la moindre critique alors que les médias officiels se sont faits les relais du discours présidentiel et des injonctions gouvernementales ? Dans la presse, on s’insurge même contre ceux qui ne suivent pas le mouvement du grand « sens civique » et l’on fustige les quelques personnalités extérieures, qu’il s’agisse d’acteurs politiques, sociaux, des domaines de la santé ou du travail, qui osent émettre le moindre son discordant dans le concert des belles envolées lyriques et graves mettant en avant la « force collective de la République », et qui ne veulent pas adhérer de façon aveugle au discours guerrier et lénifiant de la mobilisation générale.
On nous dit que l’heure n’est pas à la polémique, et qu’il sera temps, quand tout ça sera fini, de tirer les leçons de cette catastrophe sanitaire. Certes, mais n’est-il pas non plus judicieux de, tout de suite, poser les bases d’un procès en compétence, auquel nos dirigeants ne pourront pas échapper ?
Rappelons un élément essentiel : le Coronavirus COVID 19 a débuté en Chine fin décembre et s’est rapidement répandu à travers le monde. Autre structure technocratique qui a tardé à se mettre en branle, multipliant les réunions avant de prendre une décision, ce n’est que le 11 mars que l’OMS a requalifié l’épidémie de Coronavirus COVID19 en pandémie. La France a alors compris qu’il allait peut-être se passer quelque chose. Il lui aura fallu deux mois de réaction. Entre le discours surréaliste d’Agnès Buzyn l’encore ministre de la Santé le 24 janvier «Le risque d’importation depuis Wuhan est quasi nul, le risque de propagation du coronavirus dans la population est très faible », et l’intervention du chef de l’Etat du 16 mars, il y a eu l’exemple chinois qui aurait dû pousser la France à prendre des mesures et se doter des armes nécessaires pour ne pas se laisser écraser par le fléau, puisque paraît-il, « nous sommes en guerre ». Mais non, nous n’avons rien fait, rien anticipé, et, perdu deux mois, en sous-estimant la réalité. Et le nouveau ministre Olivier Véran a beau se déployer, en s’appuyant essentiellement sur la communication, soutenu par son directeur général de la santé Jérôme Salomon, et tous deux peuvent arguer de leur volonté de transparence, il n’empêche qu’ils ne peuvent effacer cette erreur originelle.
La cacophonie n’est pas venue du public, mais plutôt des intervenants eux-mêmes qui ont émis de doctes affirmations avant d’être démentis, qui ont multiplié les déclarations contradictoires, et les mesures incohérentes sans aborder la question des vraies responsabilités stratégiques du pouvoir.
Quid des masques que l’on annonçait comme faisant partie du paquetage obligatoire pour se protéger ? Il ne restait qu’un stock ridicule nettement insuffisant, au début de l’épidémie…Qu’a-t-on attendu pour reconstituer ce stock ? Nous en sommes aujourd’hui réduits à mendier des masques auprès de tous ceux qui peuvent en posséder, pour subvenir aux besoins de nos forces de santé.
Quid des gels hydro alcooliques, autre produits de cette panoplie du parfait résistant ?
Surtout, quid des tests réactifs ? Nous ‘en avons pas utilisé assez, nous n’avons pas testé suffisamment de gens au début de l’épidémie, quand il eut été encore possible de placer immédiatement quatorze jours à l’isolement les porteurs du virus, avant que celui-ci ne se dissémine davantage. On a beaucoup parlé du cas de la Corée du Sud, qui a dépisté toute sa population. Ce n’était pas la stratégie en France, si tant est qu’il y en ait eu une clairement définie. Pourtant, nos dirigeants ont affirmé appliquer le principe du « retardement » de la pandémie, afin de préparer au mieux, mais là encore dans une urgence chaotique, nos structures hospitalières, à recevoir des milliers de patients. Et précisément, pour pouvoir retarder cette vague de contamination, il fallait tout de suite pouvoir cibler et mettre à l’écart ceux qui pouvaient en être les vecteurs. Cela aurait certes logiquement fait grimper en flèche le nombre de malades, mais avec une gravité moindre. Chez nous, on détecte lorsqu’on a une suspicion avancée, ou lorsque les malades arrivent à l’hôpital. A cet instant-là, l’activité de virus est déjà très dangereuse et celui qui arrive pour se faire soigner a sans doute déjà contaminé quelqu’un. En mettant le paquet dès fin janvier début février, on aurait peut-être pu freiner l’évolution du coronavirus. Encore eût-il fallu disposer de ces tests et régler au plus vite les difficultés pour se procurer les réactifs.
Quant aux bouteilles à oxygène nécessaire en réanimation ? De façon générale, les hôpitaux utilisent des cuves à oxygène. Mais en cas de surplus de malades, il faut des bouteilles dont la seule usine de fabrication dans l’Union européenne, l’entreprise Luxfer, à Gerzat dans le Puy de Dôme, a été fermée en 2019 par son propriétaire britannique pour cause de concurrence internationale trop forte sur les prix. Les outils de production sont encore sur place, les 138 ouvriers licenciés demandent la réouverture de l’usine par l’État. Si ce n’est pas là une situation d’urgence, c’est à n’y rien comprendre.
Macron, Philippe et tous les autres ont peut-être vu venir la crise sanitaire. Sans toutefois en imaginer l’ampleur. Car au-delà de l’épidémie en elle-même, c’est l’absence de réponses politiques et techniques, le manque de moyens, qui ont contribué à aggraver la situation. Il a fallu en effet que l‘importance néfaste de celle-ci infuse dans les cerveaux de nos gouvernants, si sûrs d’eux et certains d’avoir toujours raison, qu’ils n’ont pas l’habitude que ce soit les aléas qui gouvernent.
La vraie responsabilité de nos gouvernants c’est celle-ci : leur incapacité à évaluer tous les paramètres d’une crise à venir quelle qu’elle soit, et à ce que nous ayons tous les éléments pour y faire face. Les seuls éléments qu’ils ont apportés, ce sont les éléments de langage, avec leurs fameux « gestes barrière », formule répétée à l’envi par chaque ministre invité au micro et relayée par les médias. Puis plus tard, continuant leur travail de communication, ils ont franchi une nouvelle étape avec leur injonction « restez chez vous ». Puisqu’ils n’avaient pas su anticiper, agir, réagir, puisqu’ils savaient que l’état de nos hôpitaux était pitoyable, qu’ils prenaient leur avis auprès de scientifiques qui n’en avaient pas non plus, pas plus qu’ils n’avaient de solution, il fallait bien renverser les données. Le confinement comme réponse à l’incompétence et à l’inertie. Car si le coronavirus peut parvenir à se disséminer aussi rapidement, évidemment, ce n’est pas de leur faute, ni aux uns, ni aux autres. Celle-ci en revient aux quidams. Tous ces gens qui ne respectent pas les consignes, et qui n’ont pas « une prise de conscience suffisante » dixit le 1er ministre. Et qu’importe si le système éducatif avec l’école à distance est devenue une vraie pagaille, sans compter la fracture numérique, si le télétravail n’est pas toujours, possible, si on encourage les Français à rester confiner tout en déplorant qu’ils n’aillent pas travailler, et si on pousse l’exaspération en y ajoutant la coercition par des menaces permanentes et des amendes salées.
Vous n’avez pas compris, pauvres citoyens, que les malades que l’on entasse dans les hôpitaux ou les établissements de fortune, que le manque de moyens que l’on découvre aujourd’hui, que les fautes qui ont été commises et l’impuissance matérielle des soignants, tout cela est amplifié à cause de vous, qui affichez quelques velléités de vouloir respirer à l’air libre, et ne pas accepter de rester enfermés pour une durée indéterminée.
Vous rendre coupables du drame, et comptables des victimes à venir, c’est la manière de faire, cynique et indécente, de la part du pouvoir, pour diluer ses propres responsabilités. Après tout, ce sont bien messieurs Macron, Philippe, et leurs acolytes, qui sont aux manettes et qui sont en charge de relever les défis et de surtout de prendre des décisions, quitte à devoir pour cela s’affranchir de leurs certitudes, leur vanité et leur idéologie. Et en assumant. Ce ne sont pas les trop longtemps méprisés et devenus soudainement admirables membres du corps médical à qui l’on veut faire porter le fardeau, et encore moins les pauvres gens contraints au confinement et qui voient s’émietter leur libertés publiques, insidieusement, sous couvert de crise, que l’on tente de culpabiliser, qui doivent se sentir rongés de remords. Ce sont plutôt tous ces donneurs de leçon de morale et de civisme, qui deviennent de moins en moins audibles et surtout de moins en moins crédibles. Quant aux petites gens, remarquablement capables de lutter et d’organiser les solidarités, l’histoire l’a d’ailleurs démontré, ce ne sont pas ces monstres d’égoïsme et de légèreté que l’on dénonce.
En revanche, ce sont leurs accusateurs, nos responsables politiques d’aujourd’hui, qui devront rendre des comptes sur ce drame sanitaire.