Compassion à géométrie variable

Une nouvelle fois, la République a secoué son drapeau mouillé de larmes d’émotion en se recueillant devant les cercueils de soldats tombés en Afghanistan. Une nouvelle fois, la dramaturgie fut entretenue, avec cérémonie officielle et remise de la Légion d’honneur à titre posthume. Une nouvelle fois, et quelle que soit la tendance du gouvernement, on a activé l’archet du ressentiment sur la corde sensible du patriotisme.

Alors bien sûr, la mort de soldats français en opérations extérieures est toujours un drame, surtout pour la famille, mais comme la mort de n’importe qui et dans n’importe quelle autre circonstance. Mais que l’on cesse de sembler découvrir que le métier de militaire est un métier à risque ! Par essence même, un soldat est appelé à devoir se rendre un jour sur un théâtre d’opérations, avec les risques que cela comporte. On ne peut pas envisager entretenir une Défense nationale composée d’hommes qui ne seraient destinés qu’à rester dans les casernes et s’entraîner en courant en survêtement. Alors oui, il y a des victimes. Mais faut-il pour cela pour cela en faire des héros de la Nation ?

Alors que dire des pompiers, des sauveteurs en mer, de tous ceux dont le métier est de sauver des vies -ce qui est une toute autre mission que celle de faire la guerre, mission beaucoup plus noble vous en conviendrez- et qui périssent chaque année dans un presque anonymat sans que l’on sonne pour cela les trompettes de la reconnaissance de la Patrie ? Est-ce à dire que l’on considère moins méritantes de la nation des catégories professionnelles dont la fonction est de sauver des vies, que celles qui  la représentent aux combats ?

Sans parler des journalistes dont la mission est d’informer mais pas d’aller se faire trouer la peau. Pourtant, beaucoup d’entre eux, sur des terrains difficiles, ont laissé leur vie pour cette liberté d’information. On en a parlé un peu et puis leurs visages et leurs noms ont été oubliés. Sauf de leurs proches et de leurs familles pour lesquels le chagrin reste aussi fort que celui des proches ou des familles des militaires.

Tous les jours, des personnes sont blessées, mutilées, ou tuées au travail sans que l’on considère qu’il faille leur décerner à tous une légion d’honneur. Serait-ce que toutes les missions et tous les morts ne se valent pas ?
Il serait peut-être bon de réfléchir à cette dérive nationaliste dans laquelle on veut entraîner le peuple à chaque disparition d’un de nos soldats, comme si chacun de nous avait perdu un des siens.

Nous évoluons dans un pays où l’on prône une compassion à géométrie variable, selon les intérêts que l’on peut en tirer ou selon l’idée que l’on se fait de la Nation, dans un système où l’on veut justifier le fait de devoir continuer d’entretenir une Défense nationale coûteuse et peu efficace au vu de l’évolution technologique. Ceci dans une conception surannée des relations internationales. Mais les traditions sont difficiles à remettre en cause. Et tant que l’on mettra le rang militaire au-dessus d’autres rangs civils tout aussi nécessaires au bon fonctionnement du pays, tant que l’on glorifiera la mémoire des soldats professionnels -en oubliant que ce sont surtout de pauvres types, des civils justement, que l’on a envoyé au casse-pipes lorsque la France fut entraînée dans des conflits- on continuera à entretenir un patriotisme qui n’a plus lieu d’être. Ne nous étonnons pas ensuite que certains restent arc-boutés sur leurs frontières dans leur peur obtuse de l ‘étranger.

 

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