Humanité, vices et vertus

En cette fin d’été où la préoccupation principale de nos compatriotes reste la canicule, alors que se profile une rentrée encore une fois socialement compliquée, les journaux distillent des informations qui ont de quoi interpeller. Dans les mêmes éditions, on montrait sans s’en rendre compte -ou alors de façon volontaire mais d’autant plus cynique- toute la complexité du système économique qui prévaut dans nos sociétés occidentales,  lequel entraîne des aberrations honteuses, et des questionnements inévitables sur fond d’inégalités qui se creusent et deviennent de plus en plus insupportables.

D’abord, les médias globalement d’obédience libérale, ou en tout cas totalement marqués par ce système, se sont faits les relais appliqués d’une information qu’ils considèrent comme décisive quand il s’agit d’en démontre les bienfaits en citant les chiffres d’un rapport concernant les dividendes versés au 2e trimestre 2016; et selon ce rapport de Henderson Global Investors, les plus grandes entreprises françaises cotées en Bourse ont versé plus de 35 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, soit une hausse de 11,2 %. La France occupe ainsi la deuxième place européenne et la troisième place mondiale en termes de hausse des dividendes, derrière les Pays-Bas et la Corée du Sud. Neuf sociétés françaises sur dix ont augmenté leurs dividendes ou les ont maintenus. Ce sont là des chiffres à mettre en parallèle avec les discours sans cesse ressassés sur les difficultés des entreprises dans l’hexagone et les aides qu’elles quémandent.

Le bras d’honneur de la finance 

De plus, on découvre que les actionnaires des banques sont les mieux servis, avec des distributions de dividendes en hausse de 50 à 70 %. Pas mal pour des sociétés qui, à en croire les autorités de l’époque,  étaient en grand danger en 2008, au moment d’une crise dont elles étaient d’ailleurs elles-mêmes en partie responsables. Elles ont été sauvées -si elles avaient vraiment besoin de l’être- par les contribuables sans qu’aucune contrepartie n’aient été demandée par nos dirigeants. Aujourd’hui, les banques continuent d’engraisser leurs actionnaires et les Français sont invités à se serrer la ceinture. C’est là le côté pervers de ce système faits pour quelques uns qui adressent un bras d’honneur au peuple.

Car tout cet argent, contrairement à ce  voudrait faire croire les chroniqueurs permanent du libéralisme, n’irrigue pas l’économie réelle; il ne représente qu’une part infime d’investissements et d’emplois et ne va même pas dans ce que l’on pourrait qualifier de petit actionnariat. Aujourd’hui, les entreprises se « possèdent » souvent entre elles, à travers toute une série de participation croisées. Les dividendes sont donc versés à d’autres entreprises qui peuvent acquérir d’autres entreprises. Il y a aujourd’hui de moins en moins d’actionnaires tels qu’on les imaginait avant. Il y a seulement trois millions de petits porteurs en France, quatre millions en Allemagne. C’est en train de disparaître au profit d’actionnaires plus institutionnels (banques, compagnies d’assurance, fonds de pension, fonds souverains, etc.)  Toute notre économie ne sert qu’à permettre de faire de l’argent supplémentaire pour alimenter la rente, à nourrir ceux qui ont certes eu l’heur de disposer de fonds  à investir mais qui foncièrement sont inutiles dans le mouvement de masse de notre société; tous les efforts que font les Français servent donc à rémunérer ces gens qui ne servent à rien, et au delà à financer en partie  les retraités étrangers. Puisqu’en effet, plus de 50% des entreprises françaises du CAC40 sont détenues par des fonds étrangers, donc une partie des bénéfices sert à financer les retraites des Américains, des Anglais, des Hollandais et j’en passe. Qui a dit qu’il n’y avait pas d’argent pour s’engager dans ce pays, dans ce monde, afin de donner corps à des projets qui sont un peu plus consistants puisqu’ils visent simplement à améliorer le sort des hommes ?

La solidarité au secours de la politique

Dans le même temps en effet que cette information économique capitale vantant les vertus des échanges qui permettent d’augmenter les richesses sans que l’on s’attarde évidemment à préciser que tout le monde n’en profitera pas, on voyait s’exprimer certains élus qui, comme des professeurs de morale, à grands coups de menton, mettaient en doute la bonne foi de près de trois millions de familles s’apprêtant à bénéficier d’une fortune: près de 400 euros d’allocation de rentrée scolaire. Pour une clique de nantis, il s’agit là encore une fois d’une forme d’assistanat, autrement dit d’une hérésie dans ce système libéral qu’ils défendent. Pourtant d’autres reportages évoquaient bien  le coût de la rentrée des classes, de plus en plus lourd pour le porte-monnaie de nombre de familles.

Un peu plus loin également dans les journaux, on rappelait l’activité permanente des restaurants du cœur, toujours en mouvement, même l’été lorsque l’on croit que la misère a disparu parce qu’elle est sans doute moins prégnante. On se faisait aussi l’écho d’un beau jeudi au soleil passé par les enfants des quartiers défavorisés et à qui le Secours Populaire offrait une journée de vraies vacances. Tout cela condensé dans une demi-heure. Avec un réalisme froid, celui d’un monde dans lequel les organisations de solidarité ont remplacé la politique, puisque les élus se défaussent sur elles pour atténuer les conséquences de la précarité. Ils n’assument pas ces responsabilités qui leur incombent pourtant, notamment celle d’assurer que personne vivant sur notre territoire ne soit en situation de détresse matérielle.

Mais pour cela évidemment, il faudrait repenser tout le fonctionnement des mécanismes économiques du monde, et tirer les conclusions que cette doctrine de la puissance économique au service exclusif de la finance et des possédants, et de fait aux dépens des peuples, ne peut que conduire au chaos. Avec des pays où l’on ne cesse de baisser le coût de la main d’œuvre, d’autres on l’on érige la précarité en contrat social, où l’on fait des travailleurs des individus jetables considérés comme des variables d’ajustement, et des chômeurs des profiteurs, quand des enfants doivent se battre contre  tous les éléments et les effets de la pauvreté et ne parviennent pas à vivre leur enfance, quand  les hommes ont faim, quand ils n’ont plus rien à perdre, c’est alors qu’ils renversent la table. A trop vouloir gommer toutes les vertus de l’humanité au seul nom du profit, on risque bien un jour de ne plus pouvoir croire en cette humanité.

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